La parenté à plaisanterie ou le rakiiré: «promoteur de cohésion sociale»

La cohésion sociale et le vivre-ensemble sont l’objet de quête permanente depuis la mise en place des entités sociopolitiques. Aujourd’hui plus qu’hier, la recherche de l’équilibre social demeure une nécessité. L’un des mécanismes créés par les sociétés traditionnelles africaines pour prévenir et minimiser les conflits, c’est la parenté à plaisanterie(rakiiré en mooré). Dans sa thèse de doctorat unique en Histoire africaine, soutenue avec brio à l’université Joseph Ki -Zerbo le 24 février 2023, Windepouiré Isidore KONSEIBO est revenu sur l’importance de cette pratique sociale assimilée à un « promoteur de cohésion sociale». Lisez plutôt !

À l’instar de tout le Moogo, la parenté à plaisanterie ou rakiiré a été un élément générateur de cohésion dans les communautés de l’Est du Yatēnga d’avant la colonisation(ndlr:l’Est du Yatēnga renvoit à cet espace géographique où se localisent les cantons de Zitenga, Ratēnga,Rissiam et de Kirtenga). Pour un fait pouvant aboutir à un conflit (armé ou non) entre deux communautés ou deux individus, il leur suffisait de jouer au rakiiré pour y mettre fin si toutefois cette pratique existe entre eux. À l’époque wubrienne, les habitants de plusieurs villages entretenaient déjà des relations à plaisanterie. C’est l’exemple de ceux de Raboog-zugēn, de Zag-bèega et de Wubryaoogēn. C’est peut-être à cette période qu’elle a été inventée. Les normes du rakiiré n’autorisaient pas, en revanche, à l’utiliser avec n’importe qui. Il est un bien ancestral dont se sont dotées certaines communautés qui l’utilisent dans le simple but d’éradiquer les conflits et de promouvoir le vivre ensemble. L’application du rakiiré exige, à l’avance, le consentement de son application par les deux parties dans leurs rapports sociaux et dont chaque membre connaît son bien-fondé. Bien plus qu’un simple jeu, ces relations sont, sans doute, un moyen de désamorcer les tensions entre ethnies ou entre clans familiaux. Dans l’Est du Yatēnga précolonial, les ethnies et clans qui se sont autorisé ce jeu sont les Benda et les forgerons ; les Nyonyoose et les forgerons ; les Yarse et les Peuls ; les Silmi-moose et les Benda ; les Benda et les Reines ; les Benda et les Rapo-bi et Bin-bi. Ce jeu inter-sociétal se trouvait aussi pratiqué entre les chefferies. C’est le cas des ressortissants du Risiam qui prennent ceux du Ratēnga pour des parents à plaisanterie (rakiiba). Tout comme ailleurs dans le Moogo précolonial, la parenté à plaisanterie a été intergénérationnelle. Il existait des alliances entre l’oncle et le neveu et entre les grands-parents et les petits-fils. Lorsqu’un vieux meurt, ces derniers ne doivent pas pleurer. Ils sont autorisés à user de leurs stratégies pour retarder l’enterrement. Ils peuvent bloquer l’accès au corps, encercler la tombe. Ils ne permettront la mise en terre qu’après avoir reçu des présents. Dans l’Est du Yatēnga, le rakiiré est un héritage qui a des origines multiples.
L’alliance entre les Benda et les forgerons s’explique par le fait que les fils de la forge ont leur part de contribution dans la confection du tambour à calebasse (bendre) dont se servent des gens du gomde. Le rakiiré entre Yarse et Peuls tire son origine dans le rattachement des commerçants caravaniers aux produits laitiers (lait et boules d’akassa ou fura en moore) que leur fournissent les femmes fulbe au cours de leurs voyages. Les Silmi-moose et le Benda sont des parents à plaisanterie parce que, selon la légende de la communauté bendre de l’Est du Yatēnga, « les Benda étaient une fois partis en guerre et un seul homme du clan a survécu. Pour assurer la pérennité de son clan, le rescapé a reçu une fille Silmi-moaaga en mariage». Le rakiiré qui est pratiqué entre ces deux sociétés sert à rappeler ce bienfait de longue date et à éviter d’éventuels conflits.
Dans l’Est du Yatēnga, Benda et napagba (reines) ont une alliance à plaisanterie. « Les Benda se disent être ceux qui réveillent le souverain chaque matin à l’aide de leurs tambours.Telle affirmation est rejetée en bloc par les reines qui estiment que ce sont elles qui le réveillent dans la mesure où elles passent la nuit avec lui». C’est là que se trouve l’origine de leur alliance puisque les reines et les Benda estiment être des coépouses dans le jargon populaire moaaga.
Les Benda entretiennent également le rakiiré avec les Rapo-bi et Bin-bi. Cette alliance dérive de la notoriété que chacun de ces deux groupes a voulu se donner dans le palais. « Les Rapo-bi et Bin-bi se disent être les maîtres de la sécurité du palais et, les Benda, un groupe de peu d’importance. Les Benda, en revanche, se font passer pour des hommes de l’intérieur du palais (ils chantent les louanges en restant auprès du souverain) et les Rapo-bi et Bin-bi, ceux de l’extérieur (ils sont toujours postés à la grande porte)».
L’alliance entre le Ratēnga et le Risiam est d’origine conflictuelle et date du Ratēngnaaba Tãnga et du Risiam-naaba Kuilenga. Selon Boukaré Ouédraogo, « Les rapports entre le Risiam et le Ratēnga, au tout début, ont été conflictuels. C’est alors que ces deux souverains se sont rencontrés pour envisager une solution afin de rendre pacifiques les relations entre les ressortissants des deux entités. La solution retenue fut la plaisanterie. Avant de se quitter, les deux souverains ont juré sur leurs autels (les tiido) qu’ils ont eux-mêmes pris le soin de boire) de ne plus jamais s’affronter et que tout acte qui pourrait être objet de guerre devrait être dédramatisé à travers la plaisanterie pour l’éviter».Grâce à la pratique du rakiiré, nombre de conflits ont été évités à l’Est du Yatēnga.
En résumé, la parenté à plaisanterie a été instaurée dans l’optique d’échapper à un conflit ou dans le but de reconnaître un acte de bienfait, un service rendu. Sa finalité est d’éviter d’éventuels conflits tout en entretenant de bons rapports intra-communautaires[…]. La parenté à plaisanterie constituait un rempart aux conflits intercommunautaires.

Extrait de : Windepouiré Isidore KONSEIBO, 2023, La chefferie moaaga de l’Est du Yatēnga du Ve siècle à 1960, pp 162-163.

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